samedi 12 octobre 2013

Autocritique d'une pratique de la thérapie familiale

Ma réflexion sur ma pratique s’est accélérée lorsque j’ai été confronté à des situations sclérosées, chroniques, où je refaisais toujours la même séance, où j’arrivais à 15, 20 ou 40 séances…sans grande amélioration. Même les pistes trouvées en supervision devenaient inopérantes. Je disais : monsieur est ceci ou madame cela. Je parlais de leurs résistances et me trouvais souvent incompétent.
Au fur et à mesure des années, j’ai pris conscience d’un certain nombre de dérives dans ma pratique que je m’applique à corriger.

Lecture linéaire et causaliste

Ex : comment était votre père ? (il buvait) et comment était-il avec votre mère alors ? (méchant), que faisait-elle ? Comment réagissiez-vous ?
Dans ce type de questionnement, je mène bien un questionnement « comment » mais la suggestion derrière cette conduite d’entretien devient : si tu te disputes aujourd’hui avec ta femme, c’est parce que, quand tu étais enfant, tes parents ne s’entendaient pas et que cela t’influence maintenant sans que tu t’en rendes compte. La thérapie reste implicitement de chercher dans l’enfance ce qui échappe et qui détermine les comportements. La thérapie est alors causaliste, on établit des liens de cause à effet quand bien même on pose des questions avec un « comment » et pas un « pourquoi ». La thérapie devient alors déterministe et suppose donc des forces inconscientes qui agissent. On reste sur une thérapie de conscientisation des déterminismes inconscients de nos actions. Bref, de la psychanalyse qui ne dit pas son nom.

Le thérapeute neutre et bienveillant

J’ai longtemps pratiqué cette idée que si l’on utilise le langage pour lier les affects à des représentations, il y a un effet thérapeutique. Dans leur « espace de parole », si les gens viennent nous voir, « c’est qu’ils y trouvent quelque chose ». Le thérapeute conduit alors une causerie, une conversation sans objectifs. Et sans objectifs, il est impossible de déterminer une stratégie d’intervention. Le thérapeute devient comme un « mur d’entrainement » sur lequel les patients font rebondir leurs plaintes, symptômes et autres difficultés.
De la même manière, j’ai réalisé que les soignants cultivent des réflexes immédiats et permanents de protection. Si la situation crise, on protège de suite, on sédate, on enferme. Si ça pleure, on soutient, on protège.
Non ! Je me suis aperçu que pour pouvoir faire quelque chose de sa souffrance, il faut d’abord la vivre pleinement et se l’approprier.
A être bienveillant, le thérapeute cherche à protéger, à apaiser et développe dont une attitude visant à éviter les perturbations qui pourraient faire criser le système. C’est se retrouver fort démuni pour savoir comment faire avec du chaos. Dans la vraie vie, le chaos n’est ni programmable, ni évitable.
On a beau répéter le mantra « on n’est pas un Service d’urgence », il n’empêche que ce sont les personnes qui déterminent si elles sont en demande « urgente » ou pas.
Personnellement, j’ai réalisé avec Milton.H.Erickson qu’il fallait quitter mon illusion de maîtrise de la définition de la réalité du patient. J’ai constaté que mon refus de l’urgence était à la mesure de mon incapacité à accepter le chaos comme un élément majeur de la vie. L’idée que la thérapie prend du temps, se fait seulement quand le patient est disponible rationnellement est encore un vestige de la pratique analytique.
Je me suis dit au contraire que j’avais beaucoup à apprendre de la thérapie d’urgence et suis allé voir si cette dernière existait.
Le problème, c’est qu’à imaginer que le chaos ne fait pas partie de notre espace thérapeutique, à tenter de l’éviter par des pirouettes intellectuelles…nous prescrivons du figé, du chronique, nous participons à maintenir un système sans vie (questions essentiellement orientées sur les problèmes qui amplifient les sensations d’une aggravation du problème pour le patient, questions centrées sur le passé auquel on ne peut rien changer, sur les liens de causalité, sur ce qu’il faut comprendre ou penser donc sur la conscientisation des choses inconscientes, sur les ressources externes plutôt qu’internes aux individus (interventions médicales, hospitalisation, traitements médicamenteux, prescription de thérapie individuelle, etc…)

L’illusion systémique

Si la systèmie s’est distinguée dans son origine de la thérapie des profondeurs penchée sur le « sujet » pensant, se centrer uniquement ou essentiellement sur un questionnement relationnel devient tout aussi dogmatique et sclérosant.
J’ai réalisé que tout se tient et fonctionne en même temps : l’individu et les contextes dans lesquels il évolue.
Je ne pouvais donc plus distinguer la thérapie du système familial et celle de ses éléments.
Il me fallait trouver de nouvelles pratiques pour faire de la thérapie qui soit à la fois familiale et en même temps individuelle.
Affiner la notion de système m’a emmené vers la systémie de 3ème génération, la complexité et la neuro-éco-systémique.

La première séance catastrophique

L’approfondissement de la thérapie brève puis des thérapies brèves créatives a fini de me convaincre que l’essentiel de la thérapie se construit en première séance. La quasi-totalité de la thérapie se construit d’ailleurs selon moi autour des 5 premières séances. La thérapie s’avère fructueuse si la première séance a été parfaitement menée.
Toutes les erreurs que je commettais en première séance contribuaient à façonner des thérapies inutiles, fastidieuses et interminables.
Exemples de ratages de première séance que je faisais fréquemment :
  1. Enoncé des problèmes par les gens avec une fascination exercée sur le thérapeute (par le symptôme, le conflit, le degré de souffrance, le multi-générationnel, etc…)
  2. Pas de « plus petit objectif visible réalisable » défini.
  3. Style thérapeutique flottant et définition de la relation thérapeutique indéfinie.
  4. Thérapeute très vite neutralisé par le jeu familial.
  5. Pauvreté dans l’utilisation du cerveau droit donc du bla-bla et de la rationalisation.
  6. On cause et il ne se passe rien.
  7. Pas de centration sur la nécessité de changement, le vivant, le confort, le positif…
  8. Pas de construction d’une auto-ratification par les personnes d’une amélioration dès la première séance.
  9. Détermination d’une hypothèse (autre mot pour un objectif officieux) donc d’un objectif arbitraire et d’une pseudo stratégie pour atteindre cet objectif du thérapeute. Il faut un objectif et une stratégie mais co-construits avec les patients.

Article écrit par Frédéric BERBEN
Psychologue clinicien, Psychothérapeute, Hypnothérapeute
Cabinet : 135 Rue du Ponceau, 53000 Laval. Tel : 06 78 24 44 45

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