samedi 12 octobre 2013

Murray BOWEN et l'attachement émotionel

Dans la Bowen Family System Theory ou BFST, Murray BOWEN (1913-1990) s’attache à décrire ce que les individus font plutôt que ce qu’ils disent faire.

Famille et symptômes

La famille humaine est une entité émotionnelle et ses membres sont liés de telle manière que le fonctionnement de l’un influe sur le fonctionnement de l’autre. La famille est un système.
C’est donc cette entité familiale et non les individus qui la composent qui devient l’objet du traitement.
Les symptômes prennent leur source dans le processus qui se déroule au sein de l’unité familiale. Ils ne reflètent donc pas une pathologie mais attestent seulement qu’un changement s’est produit modifiant par là-même les différentes parties du système. L’aggravation ou l’atténuation de ces symptômes dépendent de ces changements. Il peut s’agir de n’importe quel type de symptôme et tout soin est possible pour autant que le système relationnel familial est pris en considération.
L’apparition d’un symptôme dans une entité familiale dénote simplement comment cette entité réagit aux pressions qui menacent de perturber ses fonctions naturelles : le symptôme est le marqueur des efforts que fait l’unité familiale pour restaurer spontanément sa viabilité.
Bowen décrit ces forces comme autant de systèmes émotionnels qui ont été légués par l’évolution. Tous les comportements automatiques et instinctifs résultent de ces systèmes émotionnels : les ajustement cellulaires, l’activité cérébrale sont des tentatives permanentes d’adaptation à l’environnement.
Pour un individu particulier et pour un groupe donné, les comportements et les séquences interactionnelles ont un caractère répétitif, ils apparaissent chaque fois que des conditions particulières sont réunies.
Les deux variables qui influent le plus sur l’activité du système émotionnel humain sont la différenciation du soi et l’angoisse.

L’angoisse

C’est la peur d’une menace réelle ou imaginaire. Bowen la distingue en angoisse aigue et angoisse chronique.
L’angoisse aigue désigne l’état qui apparait lorsque des organismes sont confrontés à des menaces réelles.
L’angoisse chronique s’applique à un état ou à une condition organiques qui existent indépendamment de tout stimulus particulier. Cette angoisse est susceptible de se transmettre d’une génération à une autre en modelant les sensibilités, les perceptions, les interprétations et les réactions individuelles, comme une programmation pré-établie du système émotionnel.
Cette angoisse chronique s’exprime essentiellement dans la sphère délimitée par l’unité familiale qui la véhicule par des symptômes récurrents et des postures relationnelles stéréotypées.

La différenciation du soi

Quand deux personnes ou plus se rapprochent, un niveau de fusion ou de mélange est atteint pour créer un soi commun. Quand ce phénomène se produit dans la famille, Bowen parle d’unité émotionnelle familiale.
« En théorie, un sujet parvenu à son point de maturité forme une unité émotionnelle complète qui est capable de maintenir les frontières de son moi sans fusionner émotionnellement avec les autres mois » (1978)
La relation primaire de l’enfant avec ses parents joue également un rôle important dans la différenciation du soi.
Les parents et l’enfant progressent ensemble et naturellement sur la voie de l’autonomisation émotionnelle. Or la distance qui peut être parcourue sur ce chemin dépend du degré personnel d’autonomie que le père et la mère ont eux-mêmes atteints dans la relation avec leurs propres parents.
Plus les parents auront besoin que leur enfant complète leurs soi partiels, plus celui-ci, à son tour, aura besoin d’un autre pour se sentir complet. Et les liens ainsi tissés seront d’autant plus étroits que le processus de séparation émotionnellle restera inachevé. A l’extrême, il pourra exister une telle symbiose que parents et enfant ne pourront survivre séparément.
Il existe donc une graduation continue allant de la symbiose à l’autonomie complète. Bowen nomme attachement émotionnel irrésolu le reste d’attachement qui subsiste entre les parents et l’enfant.

La projection familiale

Les enfants les plus exposés à l’angoisse chronique de leurs parents présenteront des degrés d’indifférenciation égaux ou supérieurs à ceux de leurs parents.
Plus le niveau de différenciation personnel et familial est élevé, moins l’indifférenciation ou les attachements émotionnels irrésolus seront difficiles à gérer dans les relations interpersonnelles.
La quantité d’attachement résiduel qui continue à être témoignée aux parents est liée à trois facteurs :
  1. le degré d’indifférenciation du père et de la mère
  2. la façon dont le couple parental a géré l’attachement dans le couple
  3. l’intensité de l’angoisse à laquelle les parents et la famille ont été exposés pendant les périodes importantes de leur vie et les modes de gestion de cette angoisse
L’attachement émotionnel irrésolu s’établit très tôt au cours de la vie. Lorsque le système émotionnel et le système intellectuel sont fusionnés, l’aptitude individuelle à modifier son comportement ou à choisir à tout moment entre divers types de comportements est altérée.
La capacité de passer d’un système émotionnel à un système intellectuel et inversement pour régler le comportement constitue donc un atout majeur.
Les sujets dotés d’un faible niveau de différenciation sont plus vulnérables aux revers de la vie, ils ont des réactions plus émotionnelles qu’intellectuelles.
L’influence d’un environnement relationnel est également déterminante pour les réactions adaptatives. Un renforcement relationnel peut être positif ou négatif et influer sur les réactions déterminées par le degré de différenciation de soi d’origine. Si le réseau relationnel est critique, hostile et anxieux, l’individu peut fonctionner moins bien que prévu.

La triangulation

Bowen a constaté que, chaque fois qu’un système familial dépasse un certain seuil d’angoisse, un processus relationnel de triangulation tend à se mettre en place : les relations duelles deviennent de plus en plus instables, puis sont remplacées par des relations à trois.
La dyade, accumulant de l’angoisse, recherche un troisième, « out ». Or, les dyades qui se créent au sein des triangles auront pour but d’éviter l’angoisse et ne seront pas nécessairement conformes aux dyades naturelles de la famille. Des triangles naturels se forment en effet spontanément dans toutes les familles.
L’équilibre dans la triangulation devient souvent une dyade solide à laquelle on adjoint un tiers périphérique.
Ces triangles ne sont ni statiques, ni figés. Ils se réorganisent en fonction des flux d’angoisse au sein des dynamiques personnelles.
Quand l’unité familiale n’est pas trop angoissée, les triangles peuvent rester invisibles : les individus, dans ce contexte, tendent à constituer des entités fonctionnelles duelles.
La triangulation signe donc l’intensification de l’angoisse tout en servant en même temps à l’absorber et à la dissiper. Quand cette fonction ne peut être remplie par un seul triangle, Bowen parle de triangles imbriqués, plusieurs triangles indissociables les uns des autres s’activent alors.

La transmission multigénérationnelle

Dans une même famille, selon les degrés de différentiation du soi de chaque enfant, les générations suivantes auront un capital de différentiation du soi inégal dont l’écart s’accentuera encore à chaque génération.

Le processus émotionnel dans la famille nucléaire

Ce sont les procédés que le couple parental et la famille nucléaire utilisent pour gérer les difficultés entraînées par l’attachement émotionnel irrésolu. Plus le niveau de différenciation du soi est élevé dans une famille donnée, plus les individus seront en mesure de maintenir leur fonctionnement  quand l’angoisse grandira.
L’activation conjointe des structures d’attachement émotionnel irrésolu dans le couple donne naissance à des patterns interactionnels dysfonctionnels.
Bowen a isolé quatre configurations liées aux attachements émotionnels irrésolus dans les couples angoissés :
  1. La distance émotionnelle. Quand l’angoisse monte, les conjoints limitent leurs contacts, s’éloignent. La distanciation est également intériorisée et un véritable « divorce émotionnel » peut avoir lieu.
  2. Le conflit conjugal. Chacun se sera contenté d’expliquer à l’autre, clairement et activement, en quoi il (ou elle) aura violé l’interdépendance mutuelle et ce qu’il convient de faire pour revenir au statu quo antérieur.
  3. Le dysfonctionnement d’un des conjoints. L’un des membres du couple se décharge sur l’autre de ses responsabilités qui gère en retour un secteur de pouvoir de plus en plus étendu. Si le processus est alimenté par une angoisse suffisante, un patient va apparaître.
  4. La projection du problème sur un enfant. L’enfant répond à l’angoisse de sa mère par une angoisse. Elle le perçoit à tord comme un problème existant chez lui. Le parent va faire anxieusement des efforts pour montrer sa sollicitude, sa sympathie. Son énergie surprotectrice sera plus déterminée par l’angoisse maternelle que par la réalité des besoins de l’enfant, lequel deviendra de plus en plus fragile tout en ayant des exigences de plus en plus nombreuses. « Une fois ce processus mis en place, l’angoisse de la mère aussi bien que l’angoisse de l’enfant peut le déclencher » (1978)
La place dans la fratrie influe également sur ce processus.

La coupure émotionnelle

Elle concerne les situations où s’exprime une distance émotionnelle maximale, coupure physique ou internalisée. Des mécanismes physiologiques peuvent même se déclencher pour empêcher tout contact avec l’autre.
La coupure constitue un des moyens de gestion de l’attachement émotionnel irrésolu.

Le processus émotionnel dans la société

Ce sont les forces qui modèlent l’environnement général auquel toutes les familles doivent s’adapter. Les processus à l’oeuvre dans les familles fonctionnent également au niveau social.

Quelle thérapie ?

L’objectif est de renforcer la différenciation du soi individuelle ou systémique. Il convient de se concentrer plus sur la gestion du soi que sur la famille ou l’individu porteur de symptômes. Bowen préfère le terme de Coach à celui de thérapeute et désigne le processus en cours par le Coaching. L’interaction de l’équipe entraîne chacun à aller plus loin qu’il ne pourrait le faire seul.
Le Coach doit se polariser sur la gestion du soi tout en restant en contact émotionnel avec la famille. Le clinicien ne se place pas en expert, il progresse au rythme de la famille. Il ne se préoccupe pas de créer un lien thérapeutique.
Il observe et retient les triangulations, les aménagements de l’émotion, l’histoire de la gestion du soi…
Il doit maîtriser ses propres zones de fragilité émotionnelle car il convient d’apprendre aux patients à exprimer pleinement leurs émotions puis de désamorcer petit à petit les réactions qui s’attachent à ces affects. Il faut donc que le Coach connaisse à fond sa propre réactivité émotionnelle.
Bowen parle de neutralité émotionnelle, maintien en dehors su système émotionnel familial et détriangulation pour désigner l’attitude du thérapeute. Le clinicien angoissé risque de montrer une extrême bienveillance ou au contraire une dureté qui vont faire fuir la famille qu’il reçoit ou la maintenir dans une posture infantilisante. Il peut aussi faire partie intégrante du processus émotionnel familial et bloquer la résolution de problème.
Le Burn-out bowenien est une augmentation de l’angoisse chronique directement associée à l’érosion du soi (se traduisant par une perte d’énergie vitale et de la désorientation) provoquée par un comportement trop altruiste du thérapeute.
Les séances sont moins importantes que tout ce qui est fait entre les séances pour affirmer la différenciation fonctionnelle du soi : les essais, les informations découvertes, les succès remportés, les relations réelles et quotidiennes et non celles, secondaires, entretenues avec le thérapeute.
POUR ALLER PLUS LOIN : Site en anglais ici
Article écrit par Frédéric BERBEN
Psychologue clinicien, Psychothérapeute, Hypnothérapeute
Cabinet : 135 Rue du Ponceau, 53000 Laval. Tel : 06 78 24 44 45. Mail : cabinet.berben@orange.fr.

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